On m’a demandé un jour : que dirais-tu à une mère qui a perdu par la maladie un enfant en bas âge et qui se demande comment croire à un Dieu qui permet la mort d’un petit enfant ? Et pourquoi cela arrive-t-il à cette mère, à cette famille ?
J’ai cherché dans mon expérience de la souffrance. Et je mesure après coup toute la responsabilité qui m’incombe comme croyant et chrétien engagé de répondre convenablement.
D’abord, j’ai répondu : tu sais, et tu es visiblement troublée, la perte d’un enfant est tragique, nous affecte profondément et durablement. Une telle perte se produit dans beaucoup de familles. Pas nécessairement une perte identique, mais toutes les familles expérimentent des pertes énormes, oui. Cela aide-t-il à accepter votre perte ? Peut-être un tout petit peu. Mais ma réponse a été loin de satisfaire l’incompréhension, la douleur, le sentiment d’injustice, d’absurdité…
J’ai reconnu ensuite que tous ne vivent pas une perte de la même façon. Un jour, ayant vécu un évènement aux conséquences très graves pour ma famille, j’ai compris que la souffrance causée par cette perte était en proportion de l’amour que chaque membre de la famille éprouvait ou croyait avoir investi dans ses relations. « Tu souffres parce que tu as aimé », m’a dit un jour un prêtre. Cela m’a fait réfléchir et aidé à passer au travers de ce que je vois encore comme la plus grosse épreuve de ma vie. Cette épreuve m’a fait grandir dans l’amour.
Une maladie, la mort, une rupture n’est pas qu’une souffrance, elle est aussi un test. Un test pour l’amour. Comme ça peut l’être pour la foi. L’histoire de Job dans la Bible développe bien la réflexion qu’ont faite des sages quelques centaines d’années avant Jésus-Christ. Je ne retiens ici que la conclusion du livre. Tout croyant et fidèle que fût Job, il ne devait pas entrer en jugement avec Dieu qui a tout créé. S’il était possible de se comparer à un Dieu tout-puissant, il l’être humain reste si petit. Tout en étant capable de grandeur, on ne maîtrise jamais toute la vie, ni la sienne, ni celle des autres. Les mêmes sages n’ont-ils pas dit : « Nu, je suis venu au monde, nu je vais le quitter ». Pour moi ou pour mes semblables, que puis-je vraiment exiger ? Et à Dieu, comme aux autres, que puis-je exiger ?
Je prends maintenant le temps d’aborder le regard chrétien devant la perte si douloureuse d’un enfant. Regarder et méditer devant Jésus en croix peut apporter à ceux qui souffrent un sens et une espérance. Je crois que Jésus a donné sa vie pour annoncer le règne de Dieu, qui a une préférence pour les petits et les démunis. Souvenons-nous, l’obole d’une pauvre veuve pour le temple vaut plus que tout ce que pouvaient donner les riches. Les savants et les autorités du peuple juif ont trouvé le message de Jésus si menaçant pour l’ordre établi en Judée et en Israël qu’ils choisi de faire mourir Jésus parce que, défiant les lois et règles religieuses de son temps, il avait pris le parti des petits, des malades, des exclus, et affirmé qu’ils seraient les premiers dans le royaume de Dieu. Pour ça, il a assurément souffert avant et pendant qu’il était mis en croix. Mais il savait ou, au moins, avait le pressentiment où le conduiraient ses choix. Les croyants croient et affirment justement qu’il a donné sa vie pour tous les humains.
La perte d’un enfant par la maladie nous fait souffrir, mais quand on pense aux enfants qui souffrent et meurent dans nos hôpitaux, dans nos maisons victimes de violence familiale, dans les pays en guerre, cela n’allège pas la souffrance d’une mère, mais permet de comprendre que la vie est dure pour la majorité des humains, à un moment ou l’autre de la vie. Y a-t-il quelque chose ou quelqu’un qui peut donner un sens à cette vie ? Je crois que Dieu a mis devant nous la vie et la mort. À nous de choisir l’une ou l’autre. Certains choisissent la vie, d’autres la mort, en adoptent des comportements qui donnent la vie ou donnent la mort. Une mère, un père, ne choisissent pas que leur enfant vive ou meure, mais qu’il meure, ils peuvent encore choisir la vie et non la mort. Ils peuvent garder mémoire de cet enfant, croire qu’il vit toujours dans leur cœur, qu’il est présent et les suit sur leur propre chemin, ou les précède, qu’il prend le visage de personnes qui ont besoin de leur amour. Pour prendre un autre exemple, si un enfant dit à ses parents qu’il est homosexuel, ils peuvent choisir de le renier ou de l’aimer comme il est et de lui donner vie une deuxième fois. Je pense à ce beau jeune homme qui ne s’est jamais remis du refus de ses parents et qui a choisi de mourir à 40 ans. Comme Jésus et comme tant d’autres humains qui donnent leur vie pour que d’autres vivent, nous sommes responsables les uns des autres et capables de donner la vie et, cela, même au-delà de la mort.